J'ai ouvert les yeux et, malgré la fatigue écrasante, j'ai immédiatement su que je ne me rendormirais pas de sitôt. J'ai tourné la tête, regardé l'heure au réveil. 3 heures 42. Il y a quelques mois déjà, à l'époque où c'étaient les tétées ou les dents qui me tiraient de mon sommeil nocturne, j'avais remarqué que c'était l'heure fatale, celle à laquelle mon corps décontenancé ne savait pas réagir. Celle qui me laissait, aux portes du matin, épuisée et insatisfaite, frustrée de ne pouvoir renouer avec ce repos tant désiré mais qui se dérobait à moi. Cette fois, je n'ai pas lutté et, après quelques minutes d'un optimisme aveugle où, les yeux lourds, j'ai tenté de replonger dans le sommeil, je me suis levée, le plus discrètement possible, pour essayer de laisser dormir celui qui partage mon lit.
Au fond, j'aimerais cette heure calme, si ce n'était pour la journée qui va suivre, immanquablement plombée par la fatigue.
Allongée dans le noir, sur le canapé, sur fond de ronflements canins, je devine les étirements du chat. Elle a changé de lieu de prédilection, a abandonné le fauteuil crapaud qu'elle ne quittait guère jusque récemment pour s'installer dans l'angle de l'un des canapés, à proximité d'une plante verte et loin de la porte-fenêtre, finalement jugée source de variations thermiques désagréables, j'imagine. Ce soir, c'est sur le repose-pieds du fauteuil à bascule qui a abrité la fin de ma grossesse et mes allaitements diurnes qu'elle a élu domicile. Je le sais confortable ; son sens du luxe tout félin me fait sourire...
Son vieux compagnon n'a pas les mêmes priorités. Il s'est installé par terre, le long du canapé sur lequel je suis venue distiller mon insomnie. Lui veut être le plus près possible de sa maîtresse ; tant pis si cela implique de dormir au dur, au froid. Je pourrais insister pour qu'il remonte sur l'autre canapé, recouvert d'un plaid accueillant. Je ne le ferai pas. Ma victoire ne serait qu'éphémère.
Dans quelques dizaines de minutes, Mademoiselle Chat s'étirera. Elle viendra peut-être me voir avant d'aller terminer ses croquettes du soir et d'explorer une nouvelle fois son territoire. Elle jouera et je m'étonnerai une nouvelle fois de la métamorphose qui s'est opérée en trois ans. Ma sauvageonne reste craintive et sauvage, mais elle vit désormais sa vie de chat plus librement. Elle recherche les câlins, nous boude lorsque nous nous absentons, nous appelle parfois, et semble s'inquiéter de nos pleurs. Notre petite tornade domestique continue à l'inquiéter, lui qui aimerait tant la caresser !, mais elle se laisse néanmoins approcher, même par lui, de temps à autres. Je la crois heureuse, et cela m'apaise.
Dans quelques dizaines de minutes également, les lumières s'allumeront, toujours plus nombreuses, dans l'immeuble qui barre l'horizon, là-bas, au loin. Allongée dans la pénombre, j'imaginerai les vies qui s'éveillent. Échangerais-je la mienne avec l'une d'elles, si la possibilité m'en était donnée ? Au fond, je ne crois pas. C'est juste la mienne que je voudrais changer.
Vers six heures, la fatigue viendra, lourde et brutale. Et il ne sera plus l'heure d'y céder.