Réflexions printanières
Savourer pendant quelques jours l’hospitalité de cet homme prématurément vieilli, bougon comme un ours, mais au cœur plus gros que sa grande maison, ravi d'être enfin grand-père, mais ne sachant pas le dire.
Profiter du temps clément, et enchaîner les promenades dans la campagne environnante, l’Acrobate blotti dans l’écharpe. S’étonner du retard des lilas sur la région parisienne, pourtant pas bien distante ; repenser à la différence de densité de population, à l’enveloppe protectrice créée par la pollution, ne plus s’étonner, soupirer.
Déguster la friture au praliné du chocolatier si réputé dans le coin, mais chez qui on n’était encore jamais entré, le pain au levain du boulanger du village d’à-côté, penser à y passer dimanche matin pour en prendre un grand, parce que c’est fermé le lundi, et qu’il y en a marre de se faire avoir.
Reprendre la route, sous une pluie de pétales de pommiers et de poiriers, entendre l’Acrobate gazouiller quelques minutes avant de s’endormir, bercé par le ronronnement du moteur et la chanson des roues sur le bitume. Avaler les kilomètres, avec pour seule compagnie les accords de la Grande Sophie. Penser que cela faisait longtemps, trop longtemps…
Retrouver la banlieue, profiter là aussi du soleil plus estival que printanier.
Sortir à Paris en famille, pour la première fois, déjeuner en terrasse avant de s’offrir, avec quatre mois de retard, un cadeau pour la naissance de l’Acrobate, une belle cocotte en fonte qui lui servira peut-être à son tour dans quelques dizaines d’années.
Choisir de rentrer en bus, y croiser un visage familier, discuter sans craindre, pour une fois, d’incommoder les autres passagers. Retrouver cousins et amis pour un dîner, apprendre coup sur coup deux belles nouvelles, se réjouir et penser que la vie est belle, tout simplement.
Retrouver le chemin des parcs environnants, enchaîner les longues balades à quatre, certains sur deux pattes, d'autres sur quatre, d'autres encore sur roues. Penser aux pique-niques qu'on fera bientôt le long de ces mêmes allées, quand le vent sera un peu moins frais et qu'on n'hésitera plus à déposer l'Acrobate dans l'herbe, sur un plaid moelleux.
Se sentir malgré tout un peu soulagée quand reviennent les résultats d'analyses de l'Amoureux, et qu'ils indiquent que le malaise d'avant les vacances n'était a priori dû qu'à du surmenage. Sourire en voyant ce gourmand grimacer devant certaines lignes, et décider qu'il est temps de se mettre au régime.
Enchaîner les nuits morcelées, écourtées, et se faire malgré tout rattraper par la fatigue. Appréhender la fin de la semaine, la fin des vacances, la fin du recours facile à l’Amoureux. Se demander, parfois, si on a fait le bon choix, si une autre solution n’aurait pas été préférable pour tout le monde.
Recenser chaque jour les nouvelles bêtises de Mademoiselle Chat, qui ne se fait décidément pas à l'agrandissement de la famille. Se dire qu'on ne tiendra pas longtemps encore comme ça, qu'on n'a plus assez d'énergie pour tout gérer. Se demander, là aussi, quel est le bon choix.
Entendre à nouveau les voix des enfants dans la cour d’école, en bas ; sourire ou grimacer à leurs cris, selon les jours, selon les moments. Se demander si on a été comme eux, à leur âge, et si on saura s’en souvenir, quand ce sera le tour de l’Acrobate de l’atteindre.
Revoir le pédiatre, lui raconter les six semaines écoulées, sentir les larmes monter en évoquant les nuits hachées, l’absence de siestes et la fatigue, lourde, si lourde. Lui dire l’impression de n’être pas à la hauteur, les doutes, la crainte de n’être pas assez disponible, de ne pas faire bien. Respirer un peu mieux en apprenant que l’Acrobate a repris quelques centaines de grammes, que ses courbes de taille et de poids ont retrouvé leur allure initiale. Réaliser en écoutant les questions du médecin que, si ce n’était ce fichu problème de sommeil, ce petit bonhomme serait en bonne place pour le concours du bébé idéal ; réaliser en n’y trouvant aucune consolation qu’il y a désormais urgence à résoudre le problème…
Essayer.
Echouer.
Et essayer, encore.